« Le bout du monde, c’est tout simplement le bout du monde », commente Brummer derrière moi, avec sa voix traînante du Midwest américain à propos des alentours glacés ridés de crevasses, de sommets granitiques qui s’élèvent dans le ciel bleu.
« La semaine dernière, j’étais encore à décoller les étiquettes sur mon équipement, pendant que je faisais mes bagages », déclare Brummer, néophyte des expéditions hors-piste. Et bien que vous n’ayez pas besoin d’être un amateur de sports extrêmes pour y parvenir, une ascension en montagne sur des skis, sans le confort du remonte-pente, de l’hélicoptère ou de la motoneige, exige un haut niveau de forme physique et d’endurance – ce à quoi j’essaie de ne pas penser en suivant la piste, méditatif.
À mesure que la pente du glacier augmente et que des crevasses compliquent le parcours, les guides nous séparent en deux cordées pour plus de protection, au cas où une passerelle neigeuse s’effondrerait soudainement. Le soleil plombe et je place un bandana sur mon visage, en laissant une fente pour les lunettes fumées. Nous continuons, reliés par une corde d’escalade de 0,35 pouce, et la conversation laisse place à la respiration laborieuse.
Il faut trois heures pour grimper et se faufiler autour de crevasses qui pourraient avaler un autobus, et nous sommes maintenant sur des pentes douces au sommet. Soudain, un grondement sourd est répété par l’écho, comme un coup de tonnerre. Mon regard est attiré vers la baie : un iceberg de la taille d’un immeuble à logements qui se sépare en deux. Une moitié se désintègre en milliers de fragments; l’autre reste intacte, culbutant pour se figer dans une nouvelle position.
Bien que les changements climatiques semblent peu plausibles dans un pareil univers congelé, les recherches indiquent que la glace devant nous qui avançait autrefois dans la mer à des centaines de kilomètres du continent est en rapide régression. La désintégration spectaculaire de la glace polaire, comme dans l’incident dont nous venons d’être témoins, raconte l’histoire de l’Antarctique moderne.
Dix minutes plus tard, nous nous prélassons au sommet, impatients de dévaler les virages et les pentes. Nous retirons les peaux d’ascension, tout en buvant de l’eau, en avalant du chocolat et en appliquant une nouvelle couche de crème solaire. Pilkington ouvre la voie, nous recommandant de reste à gauche de ses pistes pour éviter un enchevêtrement de séracs – blocs de glace instable qui se forment là où un glacier s’écoule sur une convexité du roc sous-jacent.
La visibilité claire d’une neige printanière fraîche en prime nous assure du ski de rêve. Je négocie de rapides virages en descente dans la poudreuse – de légers cristaux de neige étincellent dans l’air limpide – me dirigeant là où nous attend Pilkington. Brummer s’élance, maintenant son équilibre avec les bâtons et affichant un style utilitaire prévisible chez un planchiste issu des basses terres rurales de l’Illinois.
500 mètres (1 600 pieds) verticaux plus bas dans la baie, le Zodiac quitte le navire en direction du point de rencontre prévu. De notre poste d’observation en hauteur, l’Akademik Ioffe ressemble à un phare de la civilisation miniature et, je dois l’admettre, rassurant dans ce vaste paysage. Nous avons le temps pour un autre tour sur les pistes du sommet, et en 15 minutes nous revoilà tout en haut, admirant la neige immaculée. À la dernière descente de la journée, nos guides ne s’arrêtent que pour reformer le groupe et zigzaguent prudemment entre les crevasses avant la dernière pente qui nous laisse au terminus du glacier.