Quand on roule à vélo à travers les vergers des Pouilles, le long de petites routes verdoyantes qui serpentent dans la campagne vallonnée, l’odeur des olives est partout. Elle relève l’air de notes vertes et poivrées et rappelle qu’en Italie, la nourriture est aussi omniprésente que l’oxygène. Ici, les arbres ont tous l’air anciens (et certains le sont) et des filets colorés sont tendus entre les troncs tordus et noueux pour attraper les fruits qui tombent. Au loin, séparés par des files de murs secs en pierre, les légumes sortent la tête du sol – des milliers de bulbes de fenouil et de navets prêts à être cueillis. C’est comme traverser un marché vivant qui respire à pleins poumons.
Les Pouilles dans l’assiette
Au plat : une région gastronomique italienne par excellence.
De Christopher DiRaddo - 10 novembre 2020
Les Pouilles sont connues à juste titre comme le « grenier de l’Italie ». Au sud du pays (l’éperon et le talon de la botte), prise en sandwich entre les mers Adriatique et Ionienne, la région assure une grande partie de la production alimentaire du pays. Avec de larges bandes de terres agricoles riches en fer, elle offre aux voyageurs aventureux et affamés la chance de goûter à des mets authentiques dans un écheveau de villes historiques et de villages côtiers. Savourer tous les meilleurs ingrédients de la région peut être une tâche énorme, car les Pouilles vous servent des expériences culinaires à l’infini. La meilleure façon de vraiment apprécier la richesse des villes et cités des Pouilles est de planifier votre visite par petites bouchées.
Huile d’olive
Au cœur des Pouilles, le paysage fertile de la Vallée d'Itria est dominé par des hectares d’oliviers. C’est là, aux abords de Fasano, que se trouve la Masseria Salamina. Construite comme résidence pour des nobles du 17e siècle, la ferme de pierre loge la famille De Miccolis Angelini depuis plus de 30 ans.
« Cette terre a produit de l’huile d’olive pendant des siècles », dit la propriétaire et chef Chiara De Miccolis Angelini, dont la famille extrait des milliers de litres d’or liquide chaque année sur sa propriété de 60 hectares. Au début des années 90, ses parents ont converti les étables en chambres et c’est elle qui gère l’endroit aujourd’hui avec son frère Filippo, guidant aussi les clients dans les cours de cuisine.
« Pour sélectionner la meilleure huile d’olive, nous recherchons trois caractéristiques, dit-elle. « Nous voulons quelque chose d’amer, de piquant et de fruité. » Seuls les lots qui présentent ces caractéristiques, sans aucun défaut, peuvent être désignés « extra vierge ». Un lot avec à peine un petit défaut doit être désigné « vierge », et tout ce qui présente plus de trois défauts est appelé lampante, ou huile à lampe.
La famille De Miccolis Angelini récolte plusieurs variétés – Ogliarola, Leccino, Frantoio et Coratina – sur leurs terres et bien qu’elles puissent sembler similaires, chaque variété a son propre goût subtil, certaines plus épicées que d’autres. « Nous avons des arbres de plus de mille ans sur nos terres d’où nous pouvons encore tirer de l’huile d’olive extra vierge, indique-t-elle. Peu importe si un olivier a 10 ans ou 2 000 ans, la qualité reste la même. »
Ce qui importe chez De Miccolis Angelini, c’est d’extraire l’huile dans les 12 heures suivant la récolte du fruit. Pendant l’extraction, on s’assure que l’huile reste à 26 degrés Celsius (79 degrés Fahrenheit) ou moins. Si la température augmente le moindrement, l’arôme et la saveur s’en ressentent. « La durée de conservation de l’huile d’olive extra vierge est très courte, explique-t-elle. Il faut l’utiliser dans l’année qui suit sa production. »
Orecchiette
Se promener dans la ville Alberobello est comme remonter le temps. Bien que beaucoup ait changé depuis le 14e siècle, où les premiers trulli du village furent construits, ces huttes blanchies à la chaux au toit conique peuplent les collines comme des champignons et donnent aux visiteurs l’impression d’accéder à une ère révolue. De petites boutiques familiales comme Il Pozzo Illuminato, louangée par la bible de la mode Harper’s Bazaar, vend de la poterie, des céramiques et du linge de cuisine faits main. La dentelle est l’artisanat régional courant – l’élégant travail d’aiguille ornant les nappes et napperons rappelle qu’ici, la nourriture, l’art et la vie s’entrelacent étroitement.
À l’extérieur des boutiques, les villageois sont fiers de vous montrer ce qu’ils mangent en fermant les rues et en dressant de longues tables pour servir un repas authentique préparé par les nonnas du village pour des occasions spéciales. Bien qu’un restaurant arbore l’Assiette Michelin au cœur de la ville – un lieu magique appelé Il Poeta Contadino qui sert des mets comme le vivaneau pané avec de la burrata, il est impossible de rivaliser avec la meilleure recette réconfortante des nonnas, les orecchiette con cime di rapa. Ce plat compte peu d’ingrédients, mais il ne lui en faut pas plus : rapini, anchois, ail, huile d’olive et orecchiette fraîches – les pâtes de la région, ainsi appelées à cause de leur ressemblance avec de petites oreilles.
Selon Davide Sansone, chef du petit village de Cassano delle Murge, c’est typique de la délicieuse méthodologie locale. « Si une recette compte plus de cinq ingrédients – elle ne vient pas des Pouilles. » Cette philosophie est ancrée dans la tradition culinaire de la région : la cucina povera, c’est-à-dire « nourriture paysanne ». Les Pouilles ont traditionnellement été l’une des régions les plus pauvres de l’Italie et la cuisine régionale est axée sur la transformation de tout ce qui est abordable ou à portée de la main pour se nourrir – une pratique qui joue encore un rôle dans la façon dont on cuisine ici aujourd’hui.
Burrata
Longtemps avant que le chaud soleil italien commence à frapper les antiques immeubles blanchis à la chaux dans la ville voisine d’Ostuni, Antonio a trait ses vaches. Vous pouvez voir les énormes bêtes flâner près de la Masseria Fragnite, mangeant du foin. C’est là qu’Antonio travaille depuis 30 ans, transformant le lait cru en légers coussins de fromage.
« Comme il fait chaud dans les Pouilles, nous avons tendance à fabriquer plus de fromages frais comme la burrata, la mozzarella, la ricotta et le primosale – des fromages à savourer dans l’instant », explique Davide Frulloni, ex-chef qui propose des escapades à vélo dans la région pour le voyagiste DuVine.
« La burrata est la sainte patronne des fromages apuliens », ajoute M. Frulloni, pendant qu’Antonio prend un morceau de caillé frais sur une table voisine et le dépose dans un grand récipient en acier avec du sel et de l’eau bouillante. La mixture est opaque et encore fractionnée. « C’est comme la gomme à mâcher, dit-il. On ne peut pas faire une bulle tout de suite. Il faut d’abord mâcher la gomme. »
Antonio prend une longue spatule de bois et commence à mélanger les ingrédients, remplissant l’air d’effluves appétissants. Au fil des minutes, le caillé, l’eau et le sel s’amalgament peu à peu et Antonio transforme le tout en une pâte extensible. Une fois la bonne texture obtenue, il en détache un morceau et crée une petite poche qu’il remplit de stracciatella (petits morceaux de fromage) et d’une crème épaisse.
La couleur même de la burrata reflète les nuances de l’architecture d’Ostuni. Surnommée la Città Bianca (ville blanche), la ville abonde en bâtiments à visiter aux couleurs de crème et de nuages, dont le palais épiscopal (Palazzo Vescovile) aux motifs élaborés avec une loggia à arches datant de 1759, une cathédrale gothique du 15e siècle et les ruines des murailles entourant la vieille ville.
Primitivo
Près de l’Adriatique, non loin de l’endroit où confluent les lacs Alimini Grande et Alimini Piccolo, les vignerons de Menhir Salento cultivent leurs vignes. « Nos ancêtres ont rarement planté des vignobles dans cette partie de la région, car le travail du sol était difficile », indique l’œnologue Marco Mascellani. « Lorsque nous sommes arrivés dans ce secteur, nous avons réfléchi à ce que nous voulions : des vins élégants dans une région de vins robustes. Nous savions que ce serait plus coûteux, mais c’était le résultat qui comptait. »
Les raisins indigènes de Menhir Salento se sont adaptés aux températures moyennes élevées du lieu et des précipitations faibles, créant une saveur incomparable. « Le Primitivo et le Negroamaro sont les plus importantes variétés du Salento, car ils sont polyvalents. De fait, nous pouvons produire des rosés, des rouges jeunes, des rouges structurés destinés à vieillir, ainsi que des mousseux, à partir du même raisin. »
Deuxième région vinicole d’Italie, les Pouilles ont souvent été considérées comme le deuxième violon, derrière la Toscane et ses exportations. Toutefois, le vent semble tourner, avec des producteurs reconnus comme Vetrère, qui produit de grands millésimés sans rien d’autre que de l’énergie propre, et Valentina Passalacqua, dont les vins biodynamiques naturels enjolivent la liste de restaurants réputés mondialement.
« Les Pouilles sont empreintes de tradition, dit M. Mascellani, mais nous sommes convaincus que la fusion et la variété sont le sel de la vie. » Les œnophiles voudront goûter les bouteilles à l’établissement vinicole du producteur dans la petite ville voisine de Minervino di Lecce. Installé dans une demeure seigneuriale du 18e siècle, leur quartier général de pierre abrite également l’Osteria Origano, une table champêtre qui sert des mets apuliens traditionnels (comme la joue de veau braisée ou la pieuvre poêlée). Mais leur premier intérêt demeure les vins, avec des blancs légers rafraîchissants comme le Pass-O Fiano ou de généreux rouges comme le Numero Zero Negroamaro qui accompagnent les plats.
Pasticciotto
Au 12e siècle, les Templiers se rendaient en pèlerinage à Santa Maria di Leuca pour prier avant de partir pour les Croisades. C’est l’endroit où Saint Pierre a mis le pied en Italie, dans la région la plus au sud des Pouilles, commémoré des siècles plus tard par la construction de la basilique sanctuaire de Santa Maria de Finibus Terrae, lieu sacré dont la visite doit se réserver des semaines à l’avance.
Aujourd’hui, on fait le pèlerinage vers le sud pour un tout autre type d’expérience religieuse. Les touristes viennent déguster le pasticciotto, une pâtisserie de pâte sablée fourrée de crème pâtissière au citron. Selon la légende, ce dessert a été créé en 1745 lorsque le pâtissier Nicola Ascalone cherchait quelque chose à servir aux pèlerins venus dans la région pour la fête de Saint Paul. Ayant trouvé un reste de pâte et de crème pâtissière dans sa cuisine, il a combiné les deux, les faisant cuire dans un petit moule en cuivre.
Le laboratorio Martinucci est un des endroits où vous en trouverez certaines des meilleures versions. Fondée en 1950 par Giovanni Martinucci et son fils Rocco, la pâtisserie compte plus d’une douzaine de points de vente dans le Salento, chacun offrant aux clients une version originale ou une version moderne à la cerise noire, au chocolat gianduja ou à la pistache.
« La saveur du pasticciotto est à son meilleur quand il est encore chaud », dit M. Frulloni, qui le préfère au petit-déjeuner, accompagné d’un cappuccino. « À peine deux heures après sa sortie du four. » Bien que ce sentiment soit difficile à comprendre dans la plupart des grandes villes nord-américaines – où les aliments sont souvent précuits et entreposés pendant des jours – c’est typique des Pouilles. Si une région illustre bien l’importance de s’alimenter à l’italienne – c’est-à-dire de traiter ses papilles avec respect – c’est bien celle-ci.
L’Italie sur deux roues
Spécialistes de la nourriture et du vin, les guides locaux du voyagiste cyclotouristique DuVine connaissent intimement le terrain qu’ils couvrent, concevant soigneusement des excursions culinaires qui permettent aux visiteurs de goûter – au sens littéral comme au sens figuré – ce qu’une région a de mieux à offrir. Dans les Pouilles, commencez votre journée par un solide petit-déjeuner fermier dans une ferme somptueusement convertie avant de partir à vélo à travers les champs ondoyants, les ruines romaines et les collines spectaculaires. À l’heure du midi, visitez une famille apulienne dans un trulli, où la matriarche remplit une longue table (et votre ventre) de burrata fraîche, de capicollo et de focaccia. Avec des parcours pour différents niveaux – et pour ceux qui préfèrent des excursions privées, ou des voyages avec leurs proches – les cyclistes débutants et experts peuvent participer à des expériences alimentaires et culturelles authentiques sur cinq continents. Et même si vous mangez et buvez en cours de route, vous n’avez pas à vous soucier des calories excédentaires en pédalant plusieurs heures par jour.
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